Alright, i'm ready now. (mabel)

Mabel enchaînait les petits boulots depuis environ deux ans. Elle n’était pas restée sans rien faire après la fin du secondaire, elle souhaitait mettre avant tout sa famille dans le confort avant de s’envoler de ses propres ailes. Il s’agissait de rendre la monnaie de leur pièce à ses parents, pour s’être tant donné à leur permettre d’avoir une vie convenable. Après avoir travaillé quelques mois au cinéma aux côtés de Wylan, elle avait l’immense chance de travailler au vidéo-club avec comme collègue Nell. Elle aurait eu les deux amis comme collègues. Elle s’entendait vraiment bien avec Nell, d’ailleurs. Mabel se remémorait les années de secondaires, lorsqu’elle faisait la morale à la tête blonde pour se laisser marcher dessus. Elle avait comme idée que la meilleure pédagogie lorsque la douceur ne fonctionne pas, est bien d’employer la violence. Peut-être qu’en lui criant dessus, cela débloquerait quelque chose en elle et la révolterait pour qu’elle se rebelle contre Mabel et ses agresseurs ? C’était ce qu’elle avait espéré. Depuis qu’elles s’étaient quittées au secondaire, elles n’avaient pas réellement eu le temps de se recroiser à part au vidéo-club où elles entretenaient une relation amicale mais avec retenue. En somme, les deux s’appréciaient réellement, étaient bienveillantes l’une envers l’autre. La retenue venait du fait qu’aucune d’elles ne s’était étalée sur sa vie depuis le secondaire. Être discrète sur sa vie appartenait au caractère de Mabel, quant à la raison propre à Nell, elle était inconnue. La King ignorait si cette situation allait durer, elle, s’en fichait assez. Pourvu que Nell ne se fasse pas marcher dessus, elle serait toujours active pour elle dans l’ombre pour la défendre et aller faire les gros yeux auprès de quiconque la critiquerait à cause de sa surdité partielle ou de sa timidité.

Dans quelques heures, Mabel aurait vingt-et-unes années. Effrayante entrée dans l’âge adulte, le véritable pas dans la vingtaine. Son patron lui avait donné la journée pour célébrer cet événement. C’était bien le premier patron à faire une telle chose, ce qui touchait énormément la brune. Elle comptait alors bien profiter de sa journée pour se reposer et voir quelques amis. Ses parents lui avaient également laissé l’appartement pour la soirée, afin qu’elle puisse inviter quelques amis avant de partir sur la plage pour célébrer en bonne et due forme. Mabel comptait d’ailleurs proposer à Nell de venir, ne serait-ce pour qu’un des deux, car elle se sentait suffisamment proche d’elle pour que la demande ne soit pas terriblement gênante. De plus, les jeunes femmes se croisaient assez rarement en soirée ce qui aurait été l’occasion de faire la fête ensemble. Elle ignorait cependant si Nell savait que son anniversaire approchait, car jamais Mabel ne serait allée vers elle pour lui vanter sa vieillesse.

La King terminait tout juste de fermer le vidéo-club, tout était propre comme un sou neuf et elle en était particulièrement satisfaite ; cela ferait moins de travail pour Nell qui travaillait seule le lendemain. Dans son dos, elle entendit soudain un grand « SURPRISE ! » qui venait justement de la blonde. Complètement prise court, Mabel se retourna pour comprendre ce qu’il se passait. Les yeux grands comme des soucoupes suivent Nell qui s’approche d’elle, avec une bouteille de liquide ambrée et une boîte de pâtisseries. Encore abasourdie, la brune reprend peu à peu ses esprits et un large sourire vient illuminer son visage. Elle savait donc ! Nell demande si elle est allergique au chocolat et Mabel secoue la tête négativement toujours sans qu’un son ne puisse sortir de ses lèvres. « Mais… » tente finalement la brune. Nell répond finalement à sa question indicible : oui, elles ont le droit de boire ici. Décidément, le patron était vraiment un amour sur terre. « Wow, merci Nell, ça me touche énormément. Fallait pas en faire tant ! » Commence-t-elle finalement en se hissant sur le la table avec la caisse – cette vieille table semble indestructible. « Eh bien, je te propose de trinquer et de manger en l’honneur de tes efforts pour ma vieillesse. Puisqu’on en est là. » Et que la bouteille de whisky ne va pas se terminer seule.

Sans plus attendre, Mabel s’empare du liquide et l’observe un instant. C’est un breuvage local, ça fait l’affaire comme toujours. Le bouchon saute sous ses doigts habitués et elle avale sans plus tarder une goulée déconcertante. Elle se met à tousser légèrement en tendant la bouteille à son acolyte. « C’est fort. Mais ça va faire du bien. » Qui sait, cela va peut-être leur faire du bien à toutes les deux, après tout.

Nell avait presque menacé d’envoyer toute la fanfare de l’île pour souhaiter un anniversaire. Ce n’était qu’un anniversaire pourtant ! un unique jour dans l’année, qui ne représentait rien. Peut-être gagnait-elle de la sagesse au fur et à mesure qu’elle vieillissait, et c’était ce que l’on souhaitait en faisant la fête ? Le seul point positif de cette célébration selon Mabel, était de pouvoir réunir ses amis et de se retrouver tous communément.  Nell faisait partie, à présent, de ces personnes que la brune avait envie d’inviter à se joindre à elle. Elle avait semblé comprendre, au bout de quelques mois à la fréquenter, que son dessein depuis le secondaire était de la faire réagir pour qu’elle ne se fasse plus marcher dessus ; puisque Mabel n’avait plus jamais été terrorisante envers Nell au contraire, elle était plus bienveillante que jamais. Elles travaillaient en harmonie et leur relation allait de mieux en mieux. Mabel aurait aimé qu’elles puissent se voir plus souvent en dehors de leur travail, mais chacune avait à faire et Nell était souvent occupée avec ses amis du kitesurf. Quant à Mabel, elle s’amusait à faire son tour quotidien de l’île, sur son vélo, à saluer tout le monde et à recroiser la blonde sur la plage quelques heures après s’être quittées, sans s’adresser plus que cela la parole. Mais le geste de la Dempsey, d’accorder de l’importance à Mabel, sans raison en dehors de leurs heures de travail était une formidable déclaration d’amitié. La brunette en était particulièrement émue, et apprivoisait sa nouvelle amitié avec une grande joie.

« Tu as vraiment bien fait de ne pas appeler la fanfare. » Confirma alors Mabel. Non, elle n’était vraiment pas axée vers ce genre de mises en scènes ubuesques pour une simple fête. Elle était discrète, secrète malgré son fort répondant, et elle préférait passer inaperçue la plupart du temps pour s’éviter des problèmes. Mabel préférait accorder toute son attention à ses amis proches que d’accumuler les connaissances sans se retrouver réellement dans chacune des personnes. L’unicité et l’intensité d’un lien avec une personne était primordial à ses yeux. Nell quitta la salle principale de vente dans le vidéo-club pour chercher de quoi couper le gâteau. Mabel raffolait de chocolat en fait, elle en mangeait un carreau à la fin de chaque repas, comme gourmandise personnelle. Elle s’empressa de prendre une part généreuse, ne doutant pas une seconde du talent de pâtisserie du boulanger qui avait réalisé ce chef d’œuvre au cacao. Elle venait de filer la bouteille à Nell qui faisait déjà la grimace, en se plaignant qu’elle ne pourrait pas rentrer seule ce soir. « J’encours ce risque. » Annonça très solennellement Mabel, en leva une main comme signe de parole. Hors de question de laisser une amie un peu pompette rentrer seule chez elle. « On n’aime pas vraiment ça, on s’habitue. » Déclara-t-elle suite à la remarque de son amie. Elle haussait les épaules en faisant ce constat.  

« Vingt-et-un an ? ça y est, la sagesse quoi. » Plaisanta-t-elle. Elle n’avait jamais compris ces questions qui demandaient de réfléchir à l’effet du temps. Il est de partout le même, pour tous, et elle n’y accorde de fait que peu d’importance. « Je m’en fiche, en fait. C’est la vie ! Mais c’est surtout une bonne raison de célébrer. » Elle se saisit de la bouteille de whisky pour en boire deux grosses gorgées, suite auxquelles elle fit une légère grimace. La soirée s’annonçait un peu longue à ce rythme. L’alcool allait vite leur monter à la tête, et elles en oublieraient bientôt les barrières de gênes et de formalités de connaissances pour partager sans honte leurs secrets. Mabel était vulnérable sous alcool, elle devenait une vraie pipelette alors qu’elle était loin de l’être en état de sobriété. Au contraire, même ! Heureusement qu’elle était en compagnie de Nell et non pas de quelqu’un indigne de confiance qui userait de ces informations contre elle. En y pensant, elle esquissa un léger sourire et but une nouvelle petite gorgée. Elle tendit la bouteille à Nell. « Aller je compte sur nous pour la finir. » Le ton du défi était décelable dans sa voix. Le sourire malicieux qui étirait ses lèvres n’était que peu rassurant.

Elle reprit ses esprits quelques instants pour manger du délicieux gâteau. La bouche pleine, elle entama la conversation : « Bon Nell, tu te vois où dans dix ans ? Genre avec qui autour de toi par exemple ? » Mabel ignorait les projets de la blonde et ne connaissait pas réellement ses amis, ou que de loin. Il était temps d’en avoir le cœur net ; et la curiosité dévorante de la brune n’aidait pas vraiment dans ce genre de situations...

Le gâteau est un régal. Maeve a dû être dans le coup c'est sûr. L'alcool en revanche est plus difficile à encaisser ; Mabel s'arrêterait de boire dès qu'elle se sentirait pompette, car elle n'aime pas devoir dépendre des autres pour prendre soin d'elle. Surtout que Nell ne la connait pas dans les détails, ce qui créerait des situations gênantes au travail le lendemain. Mabel aime avoir le contrôle de ses actions, mais elle se sent prête à se livrer un peu sur sa vie, pour assainir la relation avec sa collègue de travail. Elle commençait à sentir qu'elle pouvait lui accorder sa confiance, et tous les préparatifs pour son anniversaire témoignaient d'une attention de la part de la blonde, ce qui touchait énormément Mabel et l'a poussait d'autant plus à avoir confiance en elle. Pendant le secondaire, la King avait pu échanger avec son groupe d'amis, sans pour le moins s'y intégrer (ce qu'elle ne souhaitait pas), ainsi elle avait déjà rencontré plusieurs fois Wylan, Siobhan et même Timaé dont la relation était plus complexe qu'avec les autres. Nell était d'une gentillesse exacerbée, ce qui impressionnait Mabel qui se sentait incapable de tant pour autrui. Voilà pourquoi la brune ne s'était pas sentie à la hauteur pour se lier d'une amitié plus profonde, d'où les remarques qu'elle lui avait fait durant cette période ; l'eau avait coulé sous les ponts à présent, et elle était prête à se dévouer à une nouvelle amie, surtout comme Nell.

« La bière c'est sous-côté. » Cette affirmation vient à la suite de la remarque de Nell. Bien sûr, sur l'île les jeunes passent par toutes les phases : bière puis alcool fort, voire même drogues douces à dures. Mabs, elle préfère de loin la bière. C'est plus convivial, c'est une manière de faire l'apéro sans s'exploser le crâne. La bouteille qu'elles se passent depuis tout à l'heure est exceptionnelle, car c'est pour l'occasion de son passage au monde adulte légal. « Pas la peine, t'inquiète. » Ah non, certainement pas un fût! En revanche, c'est sûr que ce n'est pas des meilleurs goûts. Au bout d'un moment, le palais doit se faire et apprécier ces choses. Au début, personne n'aime réellement la bière et pourtant tout le monde en boit. Les adultes boivent leur whisky avec un glaçon le soir - enfin, dans les films américains - alors il doit certainement y avoir un déclic à un moment. Visiblement, ce n'est pas à vingt-et-un ans que cela arrive. « Il était temps ! » S'exclama-t-elle. Un âge ne définit pas une personne, aux yeux du gouvernement si. Si c'est pour festoyer tranquillement, ça l'arrange Mabs. « Hééé ! Je bois vite parce que c'est mon anniversaire. Tu m'as bien croisée en soirée, je suis pas comme ça! » Mabel s'indigne avec humour. De toute manière, la brune s'assurerait que Nell rentre à bon port, que ça soit au pub de son père ou à vélo. Cela ne la dérangeait pas de parcourir quelques kilomètres en plus sur l'île, elle n'était ni attendue ni pressée. Elle avait presque hâte que Nell vide son sac, qu'elle se roule par terre pour enfin discuter à cœur ouvert. Deux personnes réservées dans une même pièce, en train de boire pour déverrouiller les mots qui s'évanouissent dans leurs bouches, vous y croyez vous ?

Alors Mabel commence à tâter le terrain. Dans dix ans, elles auraient déjà trente-et-un an ; les responsabilités sur le dos, peut-être l'amour, les enfants, le métier qui s'en suit. La King aime se projeter ainsi dans le futur, ça l'aide à se rendre compte que la vie est si éphémère et qu'il faut agir vite. « Bien sûr que ça compte. Dans dix ans j'suis sûre qu'il y aura de nouvelles technologies pour ça. » Ne jamais sous-estimer la médecine. « Avec un garçon ? » Mabel hausse le sourcil de manière on ne peut plus explicite. Elle veut en savoir plus ! C'est l'occasion de se libérer. Elle en oublie le gâteau, la boisson et plante ses iris azurs dans ceux de la blondinette. « J'suis sûre que t'as déjà quelqu'un en tête. » C'est de la provoc, c'est tout, rien qui ne cherche à blesser Nell. D'ailleurs, celle-ci boit une gorgée de courage liquide. Ça semble bien nécessaire alors Mabel l'imite juste après.
Ses projets de vie dans dix ans sont assez vagues, mais des ébauches naissent tous les jours dans son esprit. « Dans dix ans j'espère que je ne serais plus là. J'ai envie de voir du pays, de voyager. Sur la route je pourrais rencontrer quelqu'un, qui sait ? J'ai envie de m'épanouir pour mieux revenir. » Annonce-t-elle. Elle ne souhaite peut-être pas finir ses jours ici, néanmoins l'envie d'embrasser une vie ailleurs. « J'ai suffisamment fait le tour de l'île. » Son ton est plus triste, car elle le fait tous les jours ce tour, avec son chien. C'est un paysage sublime, évidemment, mais quelque chose manque. Quelqu'un aussi.