it's just you and me (mabel)

tes pieds traînent dans la terre, bousculent quelques cailloux, les envoyant valser un peu plus loin, frapper contre d'autres congénères. tu fronces un peu les sourcils, t'arrêtes un instant. un de tes projectiles vient de s'arrêter aux pieds d'un des habitants du coin. il t'observe de longues secondes, relève la tête en ta direction, avant de pousser un long miaulement. tu restes immobile encore de longues secondes, avant de hausser les épaules, l'air de rien. tu reprends ta marche, ton sac sur le dos, tes chaussures foulant la terre. tu retiens un soupir, glisses une main dans tes cheveux. ça ne sert pas franchement à grand chose : le vent souffle par bourrasques et te décoiffe bien rapidement. tu devrais te couper les cheveux, d'ailleurs. un nouveau soupir t'échappe, tu observes un instant autour de toi avant de passer par-dessus l'enclos des moutons. il est immense, s'étend sur bien trop de kilomètres. et ça fait des années et des années maintenant que tu passes cette barrière, pour t'approcher des falaises. c'est plus simple de couper par l'enclos. et tu dois avouer qu'avec le retard que tu as accumulé, tu ne vas pas cracher sur un raccourci.

ouais, t'as été retenu au café quelques minutes supplémentaires, une bonne demi-heure. tu n'as même pas pensé à envoyer un message à ta frangine, de toute manière t'es pas certain que son téléphone capte, si elle est déjà arrivée. la falaise, c'est un peu votre endroit à vous, ou le vent souffle, emporte vos paroles et vos confessions. tu ne sais plus depuis combien de temps vous grimper jusqu'au bord de la montagne, à observer la mer se fracasser des mètres plus bas, contre les rochers. tu fermes les yeux un instant. le soleil frappe au-dessus de ta tête, les beaux jours reviennent. ça fait du bien. tu esquisses un sourire, esquivant un mouton te chargeant, accélérant un peu le pas pour passer une nouvelle fois la barrière de l'enclos. et puis enfin, tu remarques la silhouette de ta cadette. tu esquisses un sourire, t'approches un peu plus, viens déposer un baiser sur sa joue. salut toi. tu souffles en venant te poser à ses côtés, fermant les yeux un instant en laissant le vent s'engouffrer autour de toi. comment tu vas ? tu demandes en glissant tes doigts dans tes poches et esquisses un sourire.

Mabel sur son vélo. Elle fait son tour de l’île quotidien, tout le monde la salue. Son vélo bleu laisse à désirer, la rouille s’est accumulée dans tous les coins et la peinture laisse place au métal froid du dessous. Elle n’a pas vraiment l’argent pour faire réparer cet engin, et ne se voit même pas avec un nouveau. Il a appartenu à sa sœur puis à Malo avant de lui revenir, la valeur émotionnelle qui émane de cette bicyclette est inestimable à ses yeux. Elle parcourt ainsi l’île, la brise vient emmêler ses longs cheveux châtains. A l’arrière, court Volt, leur chien. Il semble épanoui, à courir ainsi derrière elle, la langue dehors et les foulées aléatoires qui tourbillonnent autour de sa maîtresse. C’était comme s’il sentait l’excitation qui montait en Mabel à l’idée de voir son grand frère, il semblait encore plus heureux que d’habitude ; il reconnaissait également le chemin habituel de leurs rituels. Car aller à la falaise, c’était aller à leur endroit à eux. Malo et Mabel l’avaient décidé il y a bien des années, il ne suffisait plus aujourd’hui que d’un message indiquant l’heure de la rencontre et ils savaient où ils se rejoindraient. Rien ne la mettait plus de bonne humeur que de voir son frère, car il était bien souvent pris à cause du travail et les préparatifs à être papa. Elle n’en revenait toujours pas que Mairin était enceinte, qu’elle allait être tata. A la fois une bonne nouvelle et de nouvelles angoisses s’abattaient sur la famille King. C’était ce dont ils avaient besoin de parler à présent, parce que rien ne demeurait un secret chez eux. Leurs corps, leurs gestes et leurs sous-entendus parlaient d’eux-mêmes et les forçaient à se confronter à la réalité. Ainsi, ils essayaient d’être toujours épanouis, bien dans leurs bottes.

La brunette était arrivée. Attendant son frère, qui avait dû être retenu pour x ou y raison, elle s’amusait avec le chien, le faisant tourner sur lui-même ou jouer avec les moutons. Elle riait de bon cœur en encourageant Volt qui devenait fou de tous ces jeux. Au bout de vingt minutes, elle se sentit un peu fatiguée et décida de s’asseoir, faisant redescendre la pression chez son chien également. Il vint s’asseoir à côté d’elle, en réclamant des caresses sur le sommet de son crâne. Mabel s’exécutait en scrutant l’horizon, complètement absorbée par la vue dont elle ne se lassait pas. Elle entendit les pas de son frère de son dos avant de sentir le baiser sur sa joue. Il la saluait presque toujours comme cela, et cette marque d’amour était toujours des plus agréables, surtout elle qui n’était pas des plus tactiles, trouvait en ces baiser une sécurité inavouable. « Salut, toi. » Répondit-elle en écho avec un large sourire. Elle se retourna pour dévisager son frère qui semblait heureux également. Ils n’avaient pas eu l’occasion de se revoir pour parler depuis l’anniversaire de la belle, c’était donc leur petit moment à eux depuis un moment. « Ça va bien et toi ? T’as été retenu au boulot ? » Pendant ce temps, Volt faisait la fête à son autre maître, lui sautant dans les jambes en aboyant gaiement. « Ça fait un moment qu’on n’a pas papoté, t’as quelque chose sur le cœur ? » S’enquit-elle immédiatement, soupçonnant la discussion à suivre. Elle le sentait un peu mou dans ses basques depuis qu’ils avaient annoncé la grossesse de Mairin. Comme si quelque chose n’allait pas à sa place et qu’il faisait fausse route. Elle sentait cela, dans son air perdu, triste que son visage reflétait. Elle l’invita à s’asseoir à côté d’elle, Volt tournant autour d’eux, comme pour fermer la bulle qui les entourait et garder dans son pelage les secrets qui se diraient ici.

t'es en retard, mais c'est assez régulier comme situation. sur l'île, ça ne choque personne. retenu pour une raison ou pour une autre, c'est comme ça, c'est tout. et puis, faire les trajets à pieds, ça prend du temps aussi. t'aurais pu prendre ton vélo, mais tu sors directement du boulot. et tu vas bosser à pied. tu glisses une main dans tes cheveux, retenant un léger soupir et observant autour de toi, faisant s'éloigner les moutons. ça te fait sourire, tu t'souviens de ce jour ou t'as essayé d'en chevaucher un, gamin. tu te pinces les lèvres, et tu rejoins rapidement ta frangine.
assise dans l'herbe, volt à ses pieds. tu t'approches rapidement, et tu viens déposer un baiser contre sa joue en te baissant à sa hauteur. salut, toi. tu esquisses un tendre sourire et tu te baisser un peu pour caresser volt, tes mains glissant dans sa fourrure, soupirant doucement d'aise en le laissant te faire la fête, puis s'éloigner un peu, courant autour de vous. ça va bien et toi ? t'as été retenu au boulot ? ouais, comme d'hab. tu ris un peu et tu viens t'asseoir à côté de mabel, fermant les yeux un bref instant ça fait un moment qu'on n'a pas papoté, t'as quelque chose sur le cœur ? tu hausses les épaules l'air de rien. tu ne peux rien lui cacher, àa ta frangine. un petit soupir s'échappe de tes lèvres et tu glisses une main dans tes cheveux l'air de rien. elle a raison et elle le sait bien, elle te connaît sans doute mieux que personne et ça, c'est dingue. vous êtes bien trop fusionnels. mm tu te mords l'intérieur de la joue et tu laisses volt venir s'allonger contre toi, son museau posé contre ta cuisse. tu t'appuies sur tes mains, un peu en arrière. j'ai besoin de me changer un peu les idées. tu souffles finalement. tu te pinces un bref instant les lèvres et fermes les yeux, laissant le vent venir fouetter ton visage. tu aimes cet endroit, ce silence, cette absence de présence humaine. est-ce que tu serais capable de t'en passer, loin de l'île ?
sans doute pas.
j'sais pas en fait, j'sais pas comment expliquer. que tu craques, sans réussir à te tenir. parce que mabel, c'est ta frangine, une moitié de toi malgré tout. un petit soupir se glisse sur tes lèvres. c'est bizarre. parfois je ... j'me dis que c'est pas pour moi. tu murmures. cette vie, tout ça. ce bébé qui arrive. t'es pas prêt pour ça, toi. pas prêt du tout.

Malo est porté disparu depuis quelques temps. Il s'est montré pour son anniversaire, faisant une petite surprise à Mabel, mais rien de plus depuis un moment. Elle conçoit que la vie d'adulte est bien plus remplie que sa propre existence de jeune femme, et qu'ils sont tous deux dans des situations monétaires qui ne leur permettent pas de sortir ou de faire ce qui leur chante. Néanmoins, après Maud qui s'est envolée, c'était au tour de Malo de quitter le nid familial, laissant Mabel enfant unique. Alors son frère et sa sœur lui manquaient, certes, énormément. Mais la relation qu'elle entretenait avec Malo était vraiment différente de Maud ; le contact n'arrivait pas toujours à se faire avec l'aînée tandis que tout se disait sans réels détours avec le cadet. Ils se comprenaient, ils étaient sur la même longueur d'ondes, et cela depuis aussi loin qu'elle s'en souvienne. Ainsi, au bout d'un certain temps séparés, elle s'inquiétait pour son frère. Il avait beau être plus grand qu'elle, elle ne pouvait s'empêcher de penser à lui comme à un être perdu dans la nature. Pourtant, il y avait Mairin, qu'elle affectionnait particulièrement, qui était là aussi pour guider Malo. En fait, elle sentait bien que ni Malo ni Mairin n'arrivaient à réellement maîtriser la situation dans laquelle ils étaient lancés. C'était un projet de vie qu'ils signaient tous deux, sans peut-être s'être sérieusement concertés.

Peu importe que son frère arrive en retard, elle le connaît, elle sait qu'il ne lui aurait jamais posé un lapin même en cas de tornade. Puis mince, on capte rien dans cet îlot, raison de plus pour partir ! D’ailleurs, Mabs a toujours ce projet. Elle veut voir ailleurs, sortir de ces falaises et arrêter de voir la mer de partout. Certains trouvent ce paysage magnifique et s’y enracinent. Elle est consciente de la chance qu’elle a de vivre sur un petit nuage à part du monde, où tout le monde semble aimable et se connaît. Mais être coupée de la « civilisation », celle qui va à deux cent à l’heure, c’est comme manquer quelque chose selon elle : il faut la vivre pour mieux la détester. Ainsi, elle sait pertinemment qu’elle aimera d’autant plus son île, avec sa routine et ses paysages paradisiaques. Alors Malo, il est là, comme elle avec des rêves plein la tête ; ça fait des années qu’ils parlent de partir, de fouler le sol londonien, de se perdre à Paris, de vivre la vie berlinoise. Mabel se rend bien compte que cette grossesse est un frein à tout ce qu’ils avaient construits depuis des années, une sorte de mal pour un bien. Son frère lui dit qu’il a besoin de se changer les idées, ce qu’elle peut bien comprendre avec tous les événements qui s’enchaînent. Neuf mois, c’est très court, en fin de compte. « Mmmh. » L’éloquence enseignée par son maître, elle répond en écho aux mots de son frère. Elle en profite pour glisser une cigarette aux creux de ses lèvres et en propose une à son aîné. Alors elle pose la question fatidique, après avoir fait crépiter au creux de ses doigts la flamme pour allumer sa clope. Qu’a-t-il sur le cœur ? il n’est plus dans son assiette. Est-ce justement la perspective d’être à tout jamais bloqué ici qui le rebute ? Mabel avait déjà senti une part du problème mais sans doute pas tout. « C’te vie est pas pour toi ? Peut-être qu’il faut revoir tes choix. » Un problème, une solution. Pas la peine d’y aller à la violence, comme elle aurait pu le suggérer. Mais quelques fois, il faut arrêter d’observer le Rubick’s cube et essayer de soi-même de le résoudre.

Il soupire, lui. Beaucoup. Elle fume, elle. Les iris plantées dans le décor ouvert à elle. « On partira quand même tu penses ? » Les projets peuvent tomber à l’eau après tout. Un bébé implique de grandes responsabilités.  Mabel ne se voit pas fouler le pavé d’autres villes sans son grand frère. Ces rêves, ils les ont fondés à deux lorsqu’ils ont vu Maud s’épanouir et s’envoler de ses ailes, quitter le nid pour une vie non pas meilleure, mais différente. « J’réalise pas encore que je vais être tata. J’imagine même pas toi. » Le contre-la-montre jusqu’à la naissance, la réalité inexorable qui les rattrape. Trop jeunes encore pour comprendre la complexité du puzzle de la vie.