'till the lights go out. / nolan

L'alcool. C'est affolant de constater à quel point des litres et des litres se déversaient lors d'une simple soirée, dans les verres de ces hommes et ces femmes, de ces jeunes et de ces plus âgés, qui recherchaient soit un peu d'amusement, d'évasion ou parfois même un peu de réconfort. Elle les voyait défiler, étant simplement l'intermédiaire entre eux et les boissons tant convoitées. Les verres, les bouteilles, les glaçons. Ses mains transvasaient d'un endroit à un autre car même si elle était devenue la propriétaire de cet établissement, cela lui tenait à coeur de mettre la main à la pâte. Tout allait si vite : prendre la commande, servir et encaisser. Un cheminement qui se répétait en boucle. Mais avec son expérience en restauration, elle tenait le rythme. La tête de la jolie blonde lui valait parfois quelques shoots offerts par de généreux clients, qui espérant sans doute un peu plus que quelques mots de politesse. Quelques pourboires étaient glissés sur la table dans les soirées les plus animées, mais jamais rien de bien extravagant. D'autres lui parlaient du temps de son défunt père, en nostalgie ou simple compassion.

Le bar avait fermé ses portes depuis déjà bien une heure déjà. Tous les autres employés étaient rentrés chez eux. Victoria se chargeait de terminer de nettoyer la salle. Une fois les lumières allumées et les gens déguerpis, la salle ressemblait à un véritable carnage. D'abord, les objets trouvés. Nombreux sont ceux qui oublient leurs affaires. Parfois, c'est simplement une veste ou un gilet, ou comme ce soir : un téléphone portable. La blonde les rangeait tous dans la boite à la salle arrière où était entreposé le stock du bar. Un carton aux nombreux lots abandonnés. Après avoir remonté les chaises sur les tables, elle passait un coup de serpillère sur le sol. Un bip sonnait la fin du lave-vaisselle. Dans une petite caisse, la barmaid empilait les verres avant de partir en direction de l'étagère où les ranger. Malgré les rénovations qui visaient à effacer la mémoire de son père, la demoiselle ne pouvait s'empêcher de penser à lui. Allait-il encore la hanter après sa mort ? Elle venait même à se demander si elle ne regrettait pas d'avoir repris l'affaire. Dos à la porte d'entrée, elle l'entendit néanmoins claquer, annonçant alors l'arrivée de quelqu'un au bar. "Nous sommes..." Commençait-elle tout en se retournant en direction de cette personne. Mais en apercevant ce visage si familier, elle marqua un temps d'arrêt. Fantôme du passé, il n'y a peut être pas que son père qui finirait par la hanté. "Fermés." Finit-elle par laisser échapper. Nolan, son premier amour. Un amour perdu il y a presque dix ans. L'apercevoir à l'enterrement de sa grand-mère n'avait pas été de tout repos. Et elle avait préféré fuir juste après plutôt que de l'affronter. Mais le passé finit toujours par nous rattraper.

La porte claqua, annonçant immédiatement mon entrée et me faisant même un peu sursauter. J’étais beaucoup plus nerveux que je ne l’aurais voulu, ou en tout cas que je ne désirais le paraître. Devant elle, je ne savais pas vraiment de quoi j’avais envie d’avoir l’air, finalement. La blonde, cette blonde à qui je pensais sans cesse depuis mon retour en ville, depuis que je l’avais brièvement aperçu à l’enterrement de ma grand-mère, elle me tournait actuellement le dos, l’air occupée. Le bref instant que cela lui prit de se retourner dans ma direction me parut si long que j’eu le temps de regretter d’avoir passé la porte du pub. Est-ce que j’étais un parfait imbécile de s’imaginer qu’elle allait accepter de m’avoir dans les pattes? L’air surprise, ou peut-être était-ce de la confusion, je n’en savais trop rien pour être franc, elle interrompit même un moment ce qu’elle était en train de me dire pour me dévisager. Je pinçai les lèvres, mal à l’aise. Le bar était fermé. Ils étaient fermés. « Je sais, désolé, euhm… » Je me raclai la gorge, jetai un coup d’œil bref aux chaises montées sur les tables et le sol encore luisant. « Je voulais te parler, en fait. » Elle avait repris les rênes du bar familial. Ma sœur avait eu beau me l’apprendre un peu plus tôt, je ne semblais toujours pas m’être fait à l’idée. Je n’aurais jamais imaginé que la femme rêveuse que j’avais connu puisse finir propriétaire d’un bar, encore moins celui-là, sur l’île. Pour sa défense, il était aussi juste de souligner le fait que, justement, je l’avais connu, je la connaissais. Même si j’aurais voulu me faire croire le contraire, j’étais conscient que c’était du passé, un passé lointain de près de dix ans. Je la connaissais autrefois, je ne la connaissais plus forcément aujourd’hui. Un léger pincement au cœur me surpris, vint me narguer, me rappeler que je ne l’avais peut-être jamais connu comme je le pensais. Après tout, elle m’avait abandonné. Elle avait tout laissé tomber. À la dernière minute, elle m’avait trahi… C’était comme ça que je m’étais senti, en tout cas, le jour où elle m’avait annoncé qu’elle ne partirait pas avec moi, qu’elle devait rester là.

Je chassai ces idées rapidement, les remplaçai par des questions. Est-ce qu’elle était heureuse, au moins? Est-ce qu’elle avait changé d’avis sur ce qu’elle voulait faire ou bien est-ce qu’elle s’était faite à une nouvelle réalité qui s’était présenté à elle? « Au fait, je suis désolé pour ton père. » Il était décédé l’année dernière. Je ne lui avais pas écrit -mais qu’est-ce que j’aurais bien pu lui dire- et ma sœur me l’avait un peu reproché.

Le voici devant elle. Cet homme qui s'était éclipser de sa vie il y a neuf ans de cela. Elle se revoit encore seule sur ce port, à observer le bateau s'éloigner au loin pour rejoindre l'autre rive. Un pointe au coeur à l'idée d’abandonner ses rêves et son amour. Une relation qui garde comme une ombre de défaite, ou d'incertitude. Un revirement de situation inexpliquée pour la blonde, qui regrette parfois ce choix  encore aujourd'hui. Que serait-elle devenue si elle l'avait suivi ? Serait-elle partie à Paris pour intégrer les meilleures écoles ? Serait-elle à l'image de ces françaises chics ? Personne ne le saura jamais. Parce que sa vie fût maintenue entre ces côtes et ces rivages de mer parfois agitée. Une épreuve qu'elle a affronté seule. Bouclier de ses sœurs face à un père violent, elle prenait à coeur son rôle d’aînée. Un rôle de protecteur, de défenseur. La première année fût compliquée car elle gardait malgré tout une certaine rancœur envers ses frangines. Une animosité qu'elles ne comprenaient pas, et dont elles ont bien vite deviné la cause. Neuf ans à voir son visage que sur les photos qui prenaient place sur le vaisselier de sa grand mère. Une femme étonnante et surprenante qui réussissait toujours à trouver les bons mots et lui faire goûter les meilleurs confitures d'abricots. Elle disait toujours que les destins finiraient par les réunir. Qui aurait pu croire que c'était elle, sa mort, qui réunirait leur chemin. Mais face à lui, elle n'a pas su l'affronter, préférant l'éviter durant l'enterrement et la veillée. C'était se voiler la face que de croire que ça pourrait être ainsi jusqu'à ce qu'il reprenne le bateau pour d'autres larges, comme il l'avait fait presque une décennie auparavant.

Pourtant le voici, face à elle. Une rencontre qui n'est pas hasardeuse, étant donné l'heure tardive. Tenant son torchon entre les mains après avoir essuyé l'humidité qui se trouvait sur celles-ci, son regard se tenait fixement sur son visage. Malgré la maturité que ses traits avaient pris, il restait le même qu'elle avait connu. "Me parler ?" Était-elle surprise. De quoi ? De qui ? Ils ne s'étaient pas reparlés depuis des années. Il est certain qu'ils pourraient avoir de tonnes de choses à se dire, de quoi alimenter la conversation pendant des heures et des heures, commençant de l'aube jusqu'au coucher du soleil. Mais il lui paraissait évident qu'ils ne se livreraient pas à ce genre de confidences, suite au souvenir de leur rupture.

Jetant la serviette sur un coin du bar, elle soupirait un instant à sa remarque sur son père. "C'est gentil. Même si au fond..." Elle ne terminait pas sa phrase. Depuis son décès, la blonde n'avait jamais vraiment parlé de son père. "Non, on m'a dit de jamais dire du mal des morts." Plaisantait-elle légèrement avant de se tourner vers lui. Joignant ses mains pour tripoter nerveusement ses doigts, elle entreprit de faire un pas vers lui. "Et je suis désolée pour ta grand mère. C'était une femme exceptionnelle." Ajoutait-elle, peinée en imaginant la douleur qu'il pouvait ressentir. Elle pinçait un instant ses lèvres, passant sa main contre sa nuque en signe de nervosité. Mal à l'aise de se retrouver ainsi après leur passé commun, Victoria ne savait pas sur quel terrain s'engager. Bien qu'elle le connaissait par coeur autrefois, il était devenu un étranger. En dix ans, les gens changent. Et pas qu'un peu. "Enfin... Tu voulais me parler de quoi ?" S'empressait-elle de lui demander.

Je le sentais, son regard. Pesant, insistant, surpris aussi. Elle me regardait, me détaillait, et j’avais de la difficulté à faire comme si le bleu de ses yeux ne me troublait pas complètement. Il me ramenait des années plus tôt, à une époque qui semblait si simple, si heureuse, si proche et si loin à la fois. Il s’agissait d’une époque où ma grand-mère nous avait dit que nous allions finir notre vie ensemble, elle le sentait, qu’elle ajoutait encore toujours en fausse confidence -comme si Victoria ne l’entendait pas à chaque fois- quand la blonde passait la porte une demi seconde avant moi pour sortir.

Elle ne semblait pas savoir de quoi je pouvais bien vouloir discuter, ce fantôme du passé, si bien qu’elle répéta ce que je venais de lui dire. Me parler? Pourtant, il y avait tellement de choses que j’aurais pu lui dire. Je venais toutefois sans y avoir réfléchi, à ceux-là. Les pensées se bousculaient dans ma tête et j’essayais surtout de se concentrer sur les raisons de ma venue.

Lorsque je mentionnai son père, elle jeta la serviette qu’elle tenait dans un coin du bar en soupirant. Elle me dit que c’était gentil de sa part que de lui dire cela, mais il semblait évident qu’elle ne voulait pas l’entendre. Elle ne voulait pas dire de mal des morts. Je pouvais le comprendre. J’étais en train de me demander, probablement pour la énième fois, ce qui avait pu se passer dans la petite maison dans laquelle elle avait grandi. Je savais trop bien que c’était plus compliqué qu’elle ne voulait le laisser croire, dans le temps. Je n’ai jamais osé insister d’avantage, toutefois. Ma curiosité, bien qu’elle fût animée par une inquiétude à son sujet, n’avait pas de place si elle ne voulait pas le partager.

Je clignai des yeux, muet pendant un instant, parce qu’elle m’avait surpris à son tour. Je ne savais pas pourquoi, mais je ne m’attendais pas à ce qu’elle me parle de ma grand-mère. C’était presque inévitable, pourtant, si on y réfléchissait. Je me mordis la lèvre et hochai la tête. « Non, je… » Je ne voulais pas entendre parler d’elle, pas maintenant. « Oui, je sais. » Une femme exceptionnelle.  « Merci d’être venue, d’ailleurs. » Aux funérailles, je parlais des funérailles.

Elle passa une main sur sa nuque, les lèvres pincées. Elle changea de sujet à ma place et je la remerciai mentalement, esquissai un léger sourire. « En fait, je voulais te demander un service. » Je m’approchai d’elle, m’arrêtai au comptoir, le positionnant entre nous comme un bouclier. « J’ai décroché un boulot au Bill garage. » J’haussai les épaules. « J’y travaille à temps partiel, tu vois, mais j’aurais besoin d’un peu plus de revenus que ça. » Je réalisai qu’elle penserait peut-être que je venais lui demander de l’argent. Non, non non non. Je précisai immédiatement ce que j’avais en tête, me jettai à l’eau, le cœur battant. « En fait, je viens pour te demander si je peux travailler pour toi, ici. »

Peut-être qu’elle penserait que je voulais me faire un peu d’argent pour mieux repartir, et j’avoue que je ne savais pas encore comment j’allais lui avouer que je pensais plutôt à m’acheter une petite maison avec mon héritage, m’installer, me poser. Je me voilais complètement la face en tentant de me faire croire que je ne lui demandais ce boulot que pour faire un peu d’argent et non pas pour avoir l’excuse parfaite de la voir.

Une femme exceptionnelle sa grand mère dont les paroles étaient aussi sages que bienveillantes. Une dame qui ponctuait sa vie de rencontres enrichissantes et nostalgiques. Car chaque photo de son premier amour, disposée un peu partout dans sa maison et entourée de ses autres petits enfants, lui rappelait les années merveilleuses en sa compagnie tout autant que celles difficiles après son départ. Un coeur brisé qui n'a jamais vraiment réussi à cicatriser. Elle avait fini par appuyer sur le bouton "off", taisant à jamais ses émotions le concernant. Jusqu'à maintenant, elle avait bien vécu, entamant même une nouvelle relation bien que compliquée avec Pluton. Mais alors qu'il se tenait en face d'elle, Victoria prit en plein visage tout ce qu'elle avait enfoui jusqu'alors. Mais le temps l'avait au moins rendu plus forte, déterminée à ne rien laisser paraître.

"C'est normal." Commençait-elle concernant sa venue aux funérailles. "Je continuais à lui rendre visite régulièrement après ton... Départ." Lâchait-elle difficilement ce dernier mot. Il est vrai que se retrouver dans cette maison lui permettait rester proche de lui d'une certaine manière, de ne pas rompre tout contact. Un sourire légèrement crispé sur le coin de ses lèvres, la blonde finit par retourner derrière le bar pour terminer ses tâches.

Nolan vint alors à sa rencontre, franchissant la distance qu'ils s'étaient eux même instaurés depuis son entrée. Une marge de sécurité. Elle refusait à nouveau de lui faire face, prétextant ranger la vaisselle propre plutôt que de devoir l'affronter. "Un service ?" Lançait-elle un regard par dessus son épaule, intriguée. Que pouvait-il espéré d'elle après tant d'années, après cette histoire qui s'est finie dans les larmes ? Quand il lui demandait enfin s'il pouvait travailler pour le bar, Victoria se figeait sur place. Voilà une requête qui la laissa quelques secondes sans voix. Pivotant sur elle-même afin de lui faire face, elle pinçait ses lèvres, cherchant les mots adéquats. "J'aimerai pouvoir t'aider mais..." Commençait-elle. La demoiselle cherchait en vain dans sa tête, pendant quelques millièmes de secondes, une raison valable pour s'échapper. Mais par l'étonnement de sa question, c'était un vide profond qui remplaçait son imagination. "Je ne pense pas que ça soit une très bonne idée." Se résignait-elle finalement à lui avouer.

Une multitude de pensées. Elle pesait instinctivement le pour et le contre, s'imaginant à la réaction de Pluton et pensant qu'il faudrait alors lui annoncer leur relation. Tout se basculait et tout venait à la même conclusion : des problèmes. Et elle n'en avait pas besoin. Soudain, elle émit un léger recul en prenant conscience d'une chose. "Parce que tu vas resté à Daigh ?" Le questionnait-elle, surprise. Ca, elle ne s'y attendait vraiment pas.

Elle m’assura que c’était normal. Elle continuait à aller voir ma grand-mère même après mon départ. Bien que cela me faisait bizarre, cela ne m’étonnait pas vraiment non plus. Elles s’étaient toujours bien entendues, toutes les deux.

Elle esquissa un petit sourire et s’empressa de retourner derrière le bar pour travailler. Je me rapprochai jusqu’à ce que bois seulement nous sépare. Est-ce qu’il servait à me rassurer moi ou elle? Peut-être un peu les deux, au fond, songeai-je en la regardant faire ses tâches, l’air occupée. Elle ne s’arrêta que lorsque je prononçai les mots « te demander si je peux travailler pour toi ». Elle se retourna enfin dans ma direction, mais son expression me laissait croire que je ne risquais pas d’avoir une réponse qui me plairait. Je m’y attendais un peu, au fond. Elle aimerait pouvoir m’aider, mais… Un suspens agaçant, stressant aussi, qui, je me disais, lui servait probablement à trouver une bonne excuse. Ce n’était pas si grave qu’elle me dise non, soyons clairs, elle en avait probablement toutes les raisons, mais j’aurais préféré qu’elle soit honnête.

Elle ne pensait pas que ce soit une bonne idée. « Victoria… » Je me ravisai, hochai la tête, pinçai les lèvres. Je la remerciai quand même mentalement de ne pas avoir inventé n’importe quel mensonge pour s’en sortir. J’étais tout-de-même déçu, même plus que je ne l’aurais imaginé.

Sa question me surprit alors que j’y avais songé à peine une minute plus tôt. Tout se passait si vite et si lentement à la fois, je me perdais dans ce que je voulais, ce que je pensais. L’avoir devant moi, ça me perturbait. « Oui. » Je n’aurais pas dû répondre aussi rapidement, je le sais pertinemment, j’aurais dû y réfléchir, lui expliquer que j’étais encore en train de réfléchir, du moins. Est-ce que je l’étais vraiment? Soudain, je n’étais plus si certain d’être en dilemme. L’idée de rester là, chez moi, près d’elle… Elle était plus attirante que celle de reprendre l’océan, puis un avion seul je ne sais où, en ce moment.

J’avalai difficilement ma salive, comme si une boule dans ma gorge, une boule de stresse, m’empêchait de déglutir convenablement. « Oui. » répétai-je encore.

Je ramassai un torchon encore humide sur une table, celle qui se trouvait la plus proche du bar, et j’entrepris de frotter une flaque encore collante d’alcool sur le coin où je m’étais appuyé. « Écoutes, je te jure que je peux me rendre utile. » C’était vrai, plus vrai que jamais, que je voulais aussi la voir, passer du temps avec elle, mais j’avais quand même aussi besoin d’un autre boulot. Autant pour l’argent que pour m’occuper, parce que je ne savais déjà plus quoi faire de mon temps, seul dans la maison de ma grand-mère. Je remplissais des cartons depuis trop longtemps. C’était difficile, c’était triste. Avec elle devant moi, j’aurais presque envie que j’avais besoin de Victoria. « Je ne t’embêterai pas. » Pas plus qu’en ce moment, en tout cas.

Peut-être qu’elle était plus intéressée à mon retour qu’à mes aptitudes de barman ou d’homme à tout faire, toutefois. Peut-être que là, elle se posait surtout des questions par rapport à mes projets de rester sur l’île. Je soupirai et m’appuyai à nouveau sur le comptoir, la tâche disparue. « Je ne sais pas encore si je vais rester chez elle. » J’haussai les épaules. « Je vais peut-être m’acheter une maison dans le Readsea Range, pas loin de là. » Je jetai un coup d’œil au miroir derrière le bar. Je me voyais, l’air un peu pathétique, peut-être? « Victoria. » À chaque fois que je prononçais son prénom, ça me faisait l’effet d’une bouffée d’air frais, mais comme un souvenir douloureux aussi. « Je suis désolé de débarquer comme ça, tu sais. » Les sentiments qui refaisaient surface, la culpabilité d'avoir vécu notre rêve sans elle, d'avoir le culot de débarquer dans son commerce pour lui demander un emploi, mais aussi encore une pointe de ressentiment et d'incompréhension datant de leur séparation.

Ce n'était pas une bonne idée. Terriblement pas du tout. Succession d'adjectifs péjoratifs décrivaient à cet instant l'idée saugrenue de l'embaucher. Elle aurait aimé l'aider, lui apporter son soutien dans cette période de deuil qui lui semblait pénible. Mais lui donner du travail était aussi en quelque sorte lui permettre de rester sur Daigh Island. Le voulait-elle vraiment, au fond ? Les fantômes du passé ne viennent généralement pas seuls, ils surgissent avec leur lot de problèmes associés. Jusqu'alors, elle se sentait bien. Elle avait pansé les blessures de cette relation avec les années, n'étant devenue qu'un simple et agréable souvenir. Son coprs ayant trouvé du réconfort auprès de Pluton, un pincement au coeur s'interposait soudainement à cette pensée. Jeune blonde se retrouvant dans les bras du meilleur ami de Nolan, de quoi provoquer des étincelles. Et, même si leur lien demeurait officieux depuis des mois, elle se doutait de l'étendue des dégâts du telle révélation. Pluton faisait parti de la raison première qui la poussait à refuser, mais impossible de l'avouer.

Un instant immobile face à sa réponse, elle ne s'attendait pas que le retour de son premier amour soit définitif. Les choses allaient se compliquer et les secrets ne pourront être éternellement cachés. Elle se mordait la lèvre face à la répétition de Nolan, affirmant davantage son intention de demeurer sur l'île. Mais elle ne comprenait pas les intentions qui le poussaient à cette décision. Il lui expliquait brièvement et rapidement ses projets de retour. L'héritage de la maison de sa grand-mère, s'acheter une nouvelle maison à Readsea Range. Trop d'informations qui s'accumulaient tout d'un coup. "Pourtant tu as tout donné pour partir." Y compris leur amour, leur relation échouée sur l'océan. Cette jeune femme qui observait le bateau s'éloigner, emportant son amant. "Pourquoi tu voudrais désormais revenir ?" Questionnait-elle des plus simplement, sa curiosité et son incompréhension se mélangeant alors. Ses yeux l'exprimaient parfaitement tandis que sa bouche entrouverte cherchait ses mots.

Victoria. Il prononçait ses mots comme si cela lui déchirait le coeur. Ses mains posées sur le comptoir, elle n'osait plus affronter ses yeux, prenant le temps d'enchaîner dans sa tête le pour et le contre. Un léger soupire s'extirpait de ses lèvres à ses mots pendant que sa main passa sur sa nuque. "C'est vrai que tu me prends de court." Ajoutait-elle dans un souffle. Relevant enfin le regard vers cet homme, elle semblait retrouver le Nolan d'antan qui la faisait chavirer. Bien que son visage ait gagné en maturité, ses yeux ne trahissaient pas l'âme. "Je vais y réfléchir, d'accord ?" Terminait-elle. Ce n'était ni un oui, ni un non. Mais c'est tout ce qu'elle avait à lui offrir pour le moment. Besoin de poser le pour et le contre au calme. De réfléchir à l'avenir et les dangers potentiels. "Bon, vu que tu es là. Je t'offre un verre ?" Lui suggérait-elle en étirant un sourire en coin.

Elle paraît surprise, un peu choquée même, lorsque le brun lui avoue officiellement qu’il pense rester sur l’île, y être de retour pour de bon. Elle ne comprend pas pourquoi il veut revenir. Après tout, il a tout donné pour partir, qu’elle lui rappelle. Nolan se mord la lèvre et hausse les épaules. « J’ai vécu ce que j’avais à vivre en dehors de l’île, je crois. » Il a pu réaliser ses rêves, c’est vrai, mais après? « Je suis chez moi, ici. » avoue-t-il finalement en pensant aux différents paysages, aux différentes personnes qui lui ont tant manqués.

Il prononce son nom comme on prononce un mot sacré. Elle ne le regarde même plus dans les yeux et lui, il essaie tant bien que mal d’accrocher son regard. Il veut le sonder, essayer de deviner ce qu’elle pense vraiment de tout cela, savoir ce qui se passe dans sa tête, en ce moment.

Elle lui souffre qu’il la prend de court, c’est vrai. Il s’en excuse sincèrement, il sait que c’est beaucoup demandé aussi. Ou peut-être pas, il n’en est plus certain. Ce qu’il sait, c’est que tout semble compliqué.

Pour le job, elle dit qu’elle va y réfléchir. Les yeux de Nolan doivent alors démontrer tout l’espoir qu’il a, en ce moment précis. « Merci Victoria. » Ce nom, cette femme.

Elle tente d’alléger l’atmosphère ou peut-être juste de changer de sujet, il n’en est pas certain, mais il accepte volontiers le verre qu’elle lui propose. « Oui. » Il tire un tabouret de sur le comptoir pour la poser au sol. « Merci. » Il hésite un instant, parce qu’il se demande si elle va rester debout derrière le comptoir. Il voudrait qu’elle vienne s’asseoir à côté de lui. Il tire un nouveau tabouret pour le poser à côté du premier. « Je te donne un coup de main? » Peut-être que c’est un peu son côté charmant et galant qui ressort, surtout avec les femmes. Et puis Victoria n’est pas n’importe quelle femme, non plus. Il n’y pense tout-de-même pas trop, ne se l’avoue même pas vraiment, se disant que c’est simplement parce qu’il veut se montrer utile, lui montrer qu’il peut travailler là. Il n’insiste quand même pas trop. « Dis-moi, est-ce que tu bois toujours la même chose? » Pour sa part, il boit en général les mêmes boissons, années après années. Dans les bars, il boit des bières, peu original, sauf s’il veut quelque chose de plus fort. Dans ce cas-là, il boit du gin. Un goût qui s’est développé en fouillant dans le mini bar de sa grand-mère, lorsqu’ils étaient jeunes. Il se dit qu’elle devait bien savoir.

Il tire sur son tabouret pour s’y asseoir et fait de même avec celui de la blonde. « Ce bar est vraiment bien, tu sais. » Elle en a vraiment fait quelque chose de bien, qui donne définitivement envie d’y passer régulièrement, Nolan en est certain. « Félicitations. » Il est fier d’elle, c’est vrai, ça se voit dans sa voie.