scream and shout (Victoria)

L’alcool ? Très mauvaise idée, surtout lorsqu’on ne le tolère que très peu, voire pas du tout. Jules n’est absolument pas habituée à en consommer et encore moins en grande quantité. Rares sont les fois où elle se laisse aller, à dire vrai, la jeune femme ne prend que très peu de temps pour elle, plus le temps passe et plus elle prend des responsabilités au sein de la boutique de ses parents. Ces derniers aspirent à autre chose, à une vie plus paisible de retraités. Par conséquent, la brune doit faire ses preuves et leur montrer qu’elle peut très bien prendre la suite. Mais en a-t-elle réellement envie ? L’intéressée vous dira que oui, qu’elle désire plus que tout suivre le chemin de ses parents adoptifs. Au fond, cependant, la réponse se fait alors plus nuancée. Evidemment, l’ancienne lycéenne ne l’avouera pas de vive voix de peur de décevoir ceux qui l’ont recueillie alors qu’elle n’était qu’un bébé. Abandonnée dès la naissance, ils lui ont apporté tout l’amour qu’une petite fille pouvait rêver. Jules est très fière et reconnaissante envers eux à tel point d’en oublier ses propres désirs. Frustration existante depuis longtemps qui ne demande qu’à exploser. Une bombe à retardement qui risque très bien de faire de très gros dégâts une fois libérée. Pour l’heure, elle vit dans le déni, tentant de se convaincre elle-même de vouloir hériter de la boutique. Ses parents sont tellement heureux de la voir aussi enthousiaste.

Aujourd’hui cependant, il est difficile pour elle de se mentir, de faire semblant que tout va bien alors qu’au fond, ce n’est pas le cas. La jeune Flanagan sent sa vie lui échapper à mesure que les jours s’écoulent. Sans diplôme, sans formation, condamnée à pourrir sur cette île. Amertume refoulée, trop longtemps, ce soir, elle a la main très lourde sur l’alcool. A peine pénétrée dans le bar The Spooky Donkey, la juvénile enchaîne les verres. Si les premiers n’ont pas d’incidence, les effets se sont subitement sentir, alors qu’elle joue au poker avec de parfaits inconnus, visiblement habitués des lieux. L’ambiance est bonne enfant, tout le monde se connaît après tout. Néanmoins, sa sociabilité soudaine prouve bien qu’elle n’est clairement pas sobre. Habituellement, Jules préfère se cacher.

Prise d’une envie folle de se rendre aux toilettes, la brune se lève, un peu trop vite, ses opales balayant la pièce qui, subitement se met à bouger un peu dans tous les sens. C’est donc ça que d’être saoul ? Clignant des yeux, elle met environ une minute à reprendre l’équilibre, sous les yeux amusés des personnes présentes. Certains ne manquent pas d’éclater de rire. « Hic…je ne suis pas Hic…bourrée. » Ils éclatent de rire encore plus fort. Vexée, gonflant les joues, Jules se précipite en titubant au bar où se tient Victoria, la propriétaire qu’elle voit de temps en temps. C’est la première fois dans cet état du moins. « Victoria, dis leur que je suis totalement sobre. » Dit-elle en les pointant du doigt.  « Je suis en pleine possession de mes moyens hic ! »

La soirée était particulièrement calme ce soir. Hormis quelques habitués du bar, le salle ne regorgeait pas de monde. Si la fatigue naissante de la demoiselle ne voyait là qu'un peu de repos bien méritée, sa tête se préoccupait alors des comptes. Ayant tout juste ouvert les portes après quelques mois de rénovations, le fantôme de son père semblait hanter les lieux par moment, freinant alors son ascension possible. Bien que la majorité des meubles et la décoration ont été refait à neuf, c'est comme si l’atmosphère restée imprégnée de lui. La demoiselle soupirait à l'idée que ce n'était que les divagations d'une demoiselle fatiguée Elle avait enchaîné alors les services, alliant parfois celui du midi au soir. Mais après tout, avec le retour de Nolan et les inquiétudes de Pluton à l’égare de leur relation, le travail était le seul endroit où elle pouvait faire abstraction de ses problèmes afin de noyer ceux des autres dans l'alcool qu'elle servait. Car après tout, la plupart des gens ici espérait tous oublier quelque chose. Dans un sens, elle se plaisait à se dire que cet endroit pouvait s'apparenter à un refuge. Mais de l'autre, c'était animer cette forme d'addiction.

Les verres se succédaient dans ses mains alors qu'elle prêtait aussi mains fortes à ses employés. Il était récurrent que la blonde passe derrière le comptoir pour servir les clients. Une chose en plus qui la différenciait de son père qui, lui, préférait laisser ses clients hurlaient parfois sur les pauvres barmans pendant qu'il faisait on-ne-sait-quoi dans son bureau. Et à vrai dire, Victoria n'a jamais vraiment voulu en savoir plus. Nouveau propriétaire, nouvelles règles, nouveau management. Un management plus souple, plus convivial, plus familial. Bien que rien ne la disposait à reprendre les rênes du bar, elle troquait une aventure pour une autre. Mais au fond d'elle-même, c'est un regret qui se fait ressentir de n'avoir pu poursuivre son rêve initial.

La blonde s'arrachait à ses pensées quand elle entendit un attroupement rires aux éclats. Pivotant pour chercher l'objet de tant de plaisanteries, elle fût surprise par l'assaut de Jules, cette petite qui visiblement avait un peu abusé de la boisson. Un léger rire s'échappait de ses lèvres bien qu'elle tentait de le retenir. Elle s'imaginait déjà les réactions décuplées de ses parents, virant à la tragédie. "Mais bien sûr, on va passer aux sodas maintenant la miss." Ajoutait-elle en s'assurant que les barmans aient bien compris les directives. Attrapant un verre propre, elle décapsula une bouteille de Coca Cola fraîche et le versa dedans. Elle finit par ajouter un quartier de citron vert et une paille avant de le pousser vers elle. "C'est la maison qui offre. Je n'ai pas envie de te voir dégobiller sur le comptoir." Prévenait-elle en insistant du regard. S'accoudant sur le bar, elle observait la demoiselle en haussant un sourcil. "Alors, on teste ses limites ?" Ajoutait-elle un sourire légèrement moqueur en coin.

Le besoin d’oublier un instant sa condition, le fait que sa liberté lui a été prise, Jules boit à en perdre la raison. Qui plus est, la juvénile n’est absolument pas habituée à en consommer autant, raison de plus pour ne pas le faire, la boisson monte alors très vite. Les premiers effets sur son organisme se font sentir très vite, mais pas encore perceptibles, restée assise tout le long, ce n’est qu’en voulant se mettre sur ses deux pieds qu’elle va comprendre sa bêtise. Ca ne manque pas d’arriver, mais la brune tient, titubant quelque peu sous les regards amusés de ses camarades de jeux dont elle ne connait que les noms, et encore. Sa mémoire, altérée par l’alcool doit sûrement mélanger deux ou trois prénoms entre eux. Tout se mélange dans son esprit embrumé. Pourquoi s’est-elle ainsi laisser avoir ? Parce que sa vie ne lui plait pas, rien ne va, en dépit de son sourire, Jules n’accepte pas la situation, du moins de manière encore inconsciente. Celle-ci tente de se convaincre que sa place est ici, sur cette île. Elle se doit de suivre le chemin tout tracé que lui ont laissé ses parents adoptifs, emplis d’amour à son égard mais qui ignorent ses désirs. Est-elle condamnée à finir ses jours dans ce trou ? De toute évidence oui.

Rien ni personne ne lui tendra la main pour la faire sortir de là. Sa situation est plus que compliquée, alors oui, elle tente de se montrer à elle-même que la seule solution est d’écouter ses parents. Un sacré bordel dans sa tête duquel elle veut se séparer, pour une soirée. De nouveau sur ses pieds, la jouvencelle entend bien entendu les moqueries de ses camarades de beuverie. Ces derniers ne sont pas en reste sur la consommation non plus. Eux aussi auront du mal à se lever, rira bien qui rira le dernier. Désormais accoudée au bar, elle fait appel à l’aide de Victoria afin de montrer à ses abrutis qu’elle est totalement sobre. Ce qui est totalement faux, mais la particularité d’être saoul, c’est que l’on pense ne pas l’être. Paradoxe, oui, le bonheur de l’alcool. Ses prunelles scrutent le verre de coca que lui sert la propriétaire du bar, consciente de son état d’ébriété avancé. Comme éprise d’un moment de lucidité, Jules affiche une moue honteuse, presque au bord des larmes. Elle s’en veut d’être ainsi. Un véritable fardeau en fait. Comment vont réagir ses parents ? Très mal, la gamine s’attend déjà à des cris et des remontrances, ils n’ont pas été habitués à voir leur fille boire ainsi. Jules a toujours été la petite fille parfaite, un peu trop. « Oh merci Victoria, c’est adorable. Heureusement que tu es là. » Dit-elle dans un doux sourire à l'égard de la belle blonde. Elle attrape le verre pour le déguster gentiment, venant s’asseoir sur un des sièges. Affichant un air grave, ses prunelles se posent sur son ange gardien alors que d’une voix peinée, elle reprend. « Est-ce-que ça t’es déjà arrivée d’avoir la sensation que ta vie t’échappe, que tu ne fais pas ce que tu veux ? »

La demoiselle s'était laissée aller un peu trop facilement au danger de l'alcool, abusant des verres bien remplies qui défilaient sous ses yeux, comme si elle était incapable de dire non. Victoria servait en compagnie d'un autre barman, et jusqu'à présent, elle n'avait fait attention à la quantité qu'elle servait à la jeunette et ses nouveaux amis. Petit culpabilité qui s'installait alors quand elle prit conscience qu'être le gérant d'un bar était aussi de garantir la sécurité de ses consommateurs. Son verre de soda trouvait directement la direction de sa bouche où elle en engloutit quelques gorgées pour se rafraîchir. Pour être passée par ce genre de phase elle-même, les bulles lui avaient toujours permise de rebondir sans forcément rejeter tout ce qu'elle avait ingurgité dans les toilettes. Passant un serviette sur le comptoir pour essuyer les diverses gouttes d'alcool et autres, elle finit par s'immobiliser dans sa tête à la question de la jeune fille. Que sa vie s'échappe ? Continuellement. Autrefois rêveuse et désireuse de partir à la conquête de nouveaux horizons, elle s'imaginait à Paris, entourée de chefs étoilés, prête à acquérir les dignes compétences d'un cuisinier de renom. S'enthousiasmer de découvrir de nouveau pays, main dans la main avec Nolan, son premier amour. Tout deux, partant à l'aventure. Tant de projets qu'ils faisaient ensemble quand elle était à peine plus âgée que la demoiselle assise, saoule, en face d'elle. Des rêves pleins la tête. Une ambition débordante. Tant de choses qui ne se sont jamais abouties.

"La vie nous fait prendre parfois des chemins auxquels on aurait pas pensé." ajoutait-elle simplement avant de lâcher un soupire. Si elle avait su étant plus jeune qu'elle finirait par reprendre le bar du patriarche qu'elle détestait, peut être aurait-elle sauter dans le bateau avec Nolan. "Tu sais, l'alcool ne te fait oublier que temporairement tes problèmes. Ils seront toujours là demain." jouait-elle un peu le rôle de la grande soeur, comme elle avait si bien su le faire avec ses cadettes. Elle semblait soucieuse de quelque chose, mais c'était bien la première fois qu'elle la voyait succomber, comme tous les autres pocherons, aux répercutions de l'alcool. "Tu voudrais parler de ce qui te pousse à boire ce soir ?" lui suggérait-elle en observant la demoiselle, presque avachie sur le comptoir. Elle était prête à l'aider, du mieux qu'elle le pouvait. Lui apporter les conseils, peut être pas toujours remplies de sagesse, mais au moins celles d'une fille avec sa propre expérience.

Rares sont les fois où Jules se laisse ainsi aller à la consommation d’alcool. La frustration semble avoir atteint son paroxysme. La jeune femme ne sait plus quoi faire de sa vie qui lui échappe, son existence qui n’est que le résultat des nombreux désirs de ses parents adoptifs. Qu’en est-il de ses envies à elle ? Oubliées, cachées au fond de son âme. Prête à conquérir le monde entier, la juvénile s’imagine très souvent ce qui peut se dresser après l’horizon qu’elle voit de la plage ou de sa chambre. Nostalgique et pensive, elle sait aussi que sans les bagages universitaires, elle ne pourra rien faire sur le continent. Dans un sens, l’île l’a piégée, condamnée à y rester jusqu’à sa mort, tout comme ses parents adoptifs. Alors oui, l’alcool ce soir l’aide à passer outre ce malaise qui ne fait que grandir en son for intérieur. Ça lui évite aussi de trop ruminer et d’avoir des idées noires voire stupides qu’elle pourrait aussitôt regretter, enfin, celle de boire jusqu’à n’en plus pouvoir en fait partie. Heureusement Victoria la rappelle à l’ordre. Face au soda face à elle, la brune est éprise d’un moment de lucidité où elle se rend compte de son état d’ébriété. Ce dernier n’est pas encore irréversible puisqu’elle put encore ouvrir les yeux sur celui-ci. Mais tout de même, il faut savoir s’arrêter avant que la situation ne dérape et que ses parents l’apprennent. Si c’est le cas, le sermon sera d’actualité, accompagné d’une punition adéquate. Châtiment mérité pour ce comportement déviant et inhabituel chez Jules, gamine modèle que rien ne prédestine à ça. Elle a toujours été la gamine parfaite du quartier, ayant de bonnes notes et une conduite irréprochable sur tous les points. Gamine qui au fond est frustrée car elle mène une vie qu’elle ne souhaite pas mais dont elle ne peut se défaire.

Presque avachie sur le comptoir, à siroter sa boisson gazeuse, la fraicheur du soda lui remet un peu les idées en place. Jules écoute attentivement la réponse de Victoria, comme pendue à ses lèvres, elle a la sensation que celle-ci la comprend. Il est vrai que la vie est imprévisible. « Oui…C’est vrai, l’alcool est un piège et je suis naïvement tombée dedans. » Soupire-t-elle d’un hochement de tête entendu. Honteuse de s’être montrée aussi faible, la jeune Flanagan retient ses conseils, il est vrai que l’alcool n’efface pas les problèmes, au contraire, il peut parfois en rajouter. Sa question suivante déclenche en elle des larmes qu’elle essuie aussitôt d’une main maladroite. « J’ai la sensation de ne pas vivre comme je l’entends. Je suis comme coincée ici, sans aucun moyen de m’en échapper, ça me tue. » Un sourire triste, Jules soupire une énième fois, calmant ses larmes, ça ne sert à rien de craquer, pas ici, pas maintenant. Vic’ ne pourra évidemment rien faire, mais peut-être que ses paroles l’aideront à y voir plus clair sur sa situation. « Tu dois vraiment me trouver stupide. »

La vie nous réserve plein de surprises. Une phrase classique qui révèle néanmoins beaucoup de vérité. Des surprises bonnes, comme les plus mauvaises. On nous demande parfois de nous projeter dix ans plus tard, pour au final découvrir à la date fatidique qu'on est bien loin de ce qu'on espérait autrefois. Ces chemins parsemés d’embûches nous détournent progressivement de nos objectifs. Que ce soit par une incapacité à réaliser les choses, un événement extérieures qui nous en empêchent, une autre volonté ou l'évolution de notre être qui nous fait désirer un autre but. Mais avec des "si" on referait le monde. Et personne ne peut savoir ce qu'il serait devenu s'il avait pris une décision plutôt qu'une autre. Certes, Victoria aspirait à d'autres horizons que cette petite île isolée et perdue au milieu d'un rien. Elle rêvait d'un autre métier que de servir à boire aux gens les plus démunies parfois. Elle se voyait déjà grand chef étoilé dans un établissement renommé de Paris. Un rêve bien loin de son quotidien. Tout ceci à cause d'une simple décision, il y a neuf ans. Une décision qui l'entraîna sur une voie diamétralement opposée à ses espérances.

Poussant un léger rire, Victoria finit par esquisser un sourire sur ses lèvres. Naïvement ? Dans ce cas là, le monde entier est doté d'un esprit naïf. "Tout le monde tombe dedans, et recommence malgré les sermons et la gueule de bois. Moi, la première." lui expliquait-elle en s'avouant elle-même coupable de ces fautes. Après tout, que celui qu n'a jamais péché lui jette la première pierre. Tous sont passés par ces épreuves de l'adolescence où l'on se recherche une identité, une voie à suivre. Mais le temps n'arrange en rien le fait que chaque être humain trouve un peu de réconfort dans un bon verre d'alcool, jusqu'à s'y noyer parfois sans s'en rendre compte. Les explications sincères et tristes de la demoiselle devant elle eut le don de lui pincer le coeur. Elle avait l'impression d'observer son reflet dans le miroir, quelques années auparavant, avant qu'elle ne prenne la décision de renoncer à ses propres rêves et ambitions. "Tu n'es pas stupide, voyons." commençait-elle en s'appuyant sur le bar de ses avants-bras. Elle se penchait auprès d'elle comme pour que leur discussion reste dans une certaine intimité. "Personne d'autre que toi peut décider de ce que tu dois faire ta vie." affirmait la blonde en posant sa main sur la sienne, en guise de soutien. Son sourire se voulait réconfortant, comme ses conseils qu'elle espérait être avisés et d'une certaine sagesse. "Tu sais, j'étais comme toi avant. Et j'ai fais l'erreur d'abandonner mes rêves pour le bonheur des autres..." lui confiait-elle en se redressant dans un soupire. Oui, pour ses soeurs, elle avait tout laissé derrière elle. Son premier amour et ses projets. Certes, pour être le bouclier d'un père violent et misogyne. Mais avec le recul, cela n'était pas non plus la bonne solution à adopter. "Alors ne renonces pas à ce que tu désires. Qu'importe ce que c'est, fonce." lui conseillait-elle enfin, espérant simplement que ce n'est pas une lubie comme devenir actrice porno.

De toute évidence, la vie est une chose difficile, à dire vrai, les obstacles se comptent par centaines, s’accumulent encore et encore. Il est parfois très compliqué de se relever ou de continuer. Jules ne sait comment se sortir de cette impasse où elle a la sensation que tout lui échappe. Il est probablement trop tard pour réagir à présent qu’elle a 21 ans et qu’elle n’a absolument aucune qualification. Son désir de partir est ébranlé par la réalité de sa situation. Comme mort dans l’œuf, son rêve ne semble jamais pouvoir se réaliser et reste pour l’instant une douce utopie dans laquelle elle se perd. L’alcool lui fait oublier un instant qu’elle n’est pas heureuse, qu’elle ne souhaite pas terminer ses jours sur cette île à reprendre la boutique de ses parents adoptifs. Mais comment le dire alors qu’elle leur doit absolument tout ? Ils l’ont accueilli des années plus tôt, lui ont apporté tout l’amour nécessaire. Et bien plus encore. Au-delà de l’aspect matériel, ils l’ont éduqué, fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui. Alors oui, leur dire non s’avère être très compliqué. Les confronter encore plus, surtout qu’elle sait qu’ils ne la soutiendront probablement pas si elle décide de partir. Ils vivront cela comme un abandon et elle un déchirement. La juvénile n’est pas prête à abandonner sa famille alors qu’elle-même l’a été.

Les mots de Victoria ne manquent pas de la faire sourire et la rassurent. Il est vrai que beaucoup de gens se laissent aller à la boisson en pensant que leurs soucis s’envoleront avec. « Je me sens un peu moins seule alors. » Dit-elle dans un sourire, en buvant une gorgée du soda qui lui fait un bien fou. Elle retrouve ses esprits, sa lucidité et la conscience de la réalité. L’alcool n’est qu’une bulle dangereuse qui nous donne la sensation que tout va bien. Une douce illusion. Les opales sombres de Jules détaillent Victoria dont l’histoire résonne en elle comme un électrochoc. Elle était loin de se douter que celle-ci avait une histoire assez semblable à la sienne. Pour le bonheur des autres, la belle blonde a baissé les bras, ignorer ses désirs. C’est tout à fait le dilemme qui se pose pour la jeune Flanagan. Plus que jamais, le récit de la jeune femme la fait réfléchir, elle compatit. « Je suis désolée…Tu voulais faire quoi ? » Posant le verre sur le comptoir, la brune baisse ensuite les yeux. « Je dois foncer même si ça implique de ne plus jamais revoir mes parents adoptifs ? » C’est bien cela qui s’offre à elle si elle ose écouter ses désirs et ambitions. Ils ne lui pardonneront surement pas, la renieront une bonne fois pour toute. Elle se retrouvera alors seule, totalement démunie. Jules fait face à un vrai sac de nœuds. Taire ses envies semble être la solution de facilité, mais elle sacrifierait aussi son bonheur. Et ça, c’est précieux, plus que tout.